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Portrait  de Alphonse Daltroff

Alphonse Daltroff, un oncle de Antoinette Alice

C'est le 17 octobre 1846 que Jeannette Bloch, épouse de Simon Daltroff, donne naissance à un garçon que l'on prénomme Alphonse. Deux filles l'ont déjà précédé : Mathilde, née le 21 août 1842 et Adélaïde le 9 septembre 1844. Une troisième fille, Adelphine, vient au monde le 17 octobre 1848. La famille vit au centre de Paris, non loin de l'Hôtel de Ville, mais également à proximité de la synagogue de la rue Notre-Dame de Nazareth. Les Daltroff, d'abord installés rue du Coq Saint Jean aux côtés des grands-parents, Jacob et Sarah, des oncles et tantes, finissent par habiter rue de la Verrerie à quelques pas du reste de la famille.

Simon, venu de Puttelange (Moselle), comme le reste de la famille paternelle est marchand, tantôt il est qualifié de brocanteur, de marchand ambulant, tantôt de colporteur. Il est sûr qu'il ne tient pas boutique, mais se livre à la revente de vêtements de seconde main. Quant à Jeannette, elle est d'abord domestique lorsqu'elle arrive d'Alsace (Ribeauvillé) ; elle serait devenue ensuite fleuriste, c’est-à-dire qu’elle fabrique des fleurs artificielles à domicile.

Alphonse perd sa mère le 20 juillet 1852, alors qu'il est âgé de 6 ans. Jeannette n’avait que 40 ans, elle est inhumée dans le cimetière nord de Paris (cimetière Montmartre).

Le 21 février 1854, Simon se remarie. Il épouse Esther Bruhl, née en 1817 en Lorraine. Le couple aura trois enfants. Le premier, Arthur ne nait pas à Paris, mais à Phalsbourg en 1855, dans la famille de Esther. Pour quelle raison ? Peut -être à cause du choléra ou autre épidémie qui surgit périodiquement dans la capitale. Simon est resté à Paris avec les quatre enfants du premier lit.

Gustave, un second fils naît le 28 novembre 1857, cette fois à Paris. La famille vit dans alors 1ème arrondissement au 3 impasse au Lard. Enfin, Aline vient au monde le 23 juillet 1860, au 14 de la rue des Trois pavillons.

Les changements fréquents d'adresses semblent correspondre à l'agrandissement de la famille.

Alphonse, comme sans doute ses frères et sœurs, ses cousins et cousines, fréquente l'école de la rue des Hospitalières Saint Gervais. Cette école a été fondée en 1844 pour accueillir des jeunes de la communauté juive. Beaucoup d'enfants du quartier s'y retrouvent. Le jour de repos n'est pas le jeudi, mais le samedi, car on y est célèbre les fêtes israélites, sans oublier le 15 août, fête de l'Empereur. La lecture des registres montre que les enfants sont souvent absents ; soit ils aident leurs parents, soit cet absentéisme est lié aux maladies qui touchent beaucoup d'élèves. Il faut préciser que les conditions sanitaires laissent parfois à désirer.

Le nom du jeune Alphonse figure sur un registre de 1850. Il a alors quatre ans et fréquente la salle d'asile de l'école, équivalent d'une maternelle. Le même registre précise qu'il y reste jusqu'en 1853.

Comment les enfants de Jeannette considèrent-t-ils celle qui est devenue leur belle mère ?

On peut seulement faire des hypothèses à partir des faits. Les filles de Simon quittent très tôt le domicile familial. Mathilde part vers 1859/1860 et donne rapidement naissance à des enfants naturels, les enfants de Edouard Mesnard. Adelphine suit le même chemin. Y-a-til mésentente avec Esther ?

Rebelle et délinquant

Quant à Alphonse, il est vite considéré comme un enfant rebelle. Il abandonne l'école et traîne dans le quartier avec les gamins. A 10 ans, il fait partie d'une bande de jeunes garçons qui sévit au coeur de Paris. Cette bande est organisée en plusieurs groupes avec sa hiérarchie, ses lieutenants, ses capitaines : Alphonse est un des « commandants en sous ordre ». Les enfants se livrent à des vols portant sur des produits alimentaires : fruits, bonbons, viande. Ils dérobent également du papier à cigarettes, des casquettes. Il s'agit de vols à l'étalage ou à la tire. Certains sont même allés jusqu'à entrer par effraction chez les particuliers la nuit. Et bien sûr ils n'hésitent pas à faire les poches des passants.

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Ces exactions expliquent les relations précoces du jeune Daltroff avec la police et la justice. En effet, la Gazette des Tribunaux du 22 février 1857 relate une séance de la 17e Chambre du Tribunal correctionnel de la Seine. Parmi les prévenus figure Alphonse. Au cours de l'audience, tous les méfaits commis par la bande sont exposés. Les parents ont été convoqués. Simon est là. On peut s’interroger sur ses sentiments.

A l’issue du procès, Alphonse, comme d'autres enfants, est conduit en maison de correction. Il devra y rester jusqu'à ses 18 ans. Sans doute s'agit-il de la Petite Roquette, si l'on se base sur ce qu’il déclarera lors d'autres ennuis judiciaires en 1872.

A partir de là l'enfant rebelle ne cesse d'avoir affaire à la justice. En 1860, sa condamnation est prolongée jusqu'à ses 20 ans. En 1863, il est condamné à 6 mois. Il s'agit le plus souvent de vols. En décembre 1865, c'est le Tribunal de Rouen qui l'envoie en prison pour les mêmes raisons (que fait-il d'ailleurs à Rouen ?).

L'année suivante, alors qu'il est peut-être encore incarcéré, son père, depuis Paris, se charge d'effectuer les démarches relatives au recensement militaire. Le document précise que le jeune homme vit à Rouen et exercerait la profession de brossier. Simon lui-même réside dans le 4e arrondissement de Paris, 9 rue du Puits.

Le degré d'instruction de Alphonse correspond à 1-2 sur 3 (il est vrai qu'il a quitté tôt l'école). Il est libéré des obligations militaires, on ne sait pourquoi.

Rebelle et communard

Alphonse retourne à nouveau à Paris où il est condamné pour vol en 1867. Cette fois il n'a plus le droit de séjourner dans la capitale. Et pourtant en février 1870, il participe au soulèvement parisien en faveur du journaliste Rochefort. Ce dernier, un opposant notoire à l'Empire se voit interdit de publication pour son journal La Marseillaise. La police intervient et arrête des manifestants : parmi ceux-ci un certain Daltroff. L'arrestation du jeune homme, cette fois est de nature politique. Daltroff a été écroué à la Conciergerie, puis dans la nuit du 9 au 10 février à la prison de la Santé.

Deux semaines plus tard il est condamné à 6 mois pour rupture de ban puisque le séjour parisien lui était interdit. Lorsqu'il est libéré à l'automne 1870, la France est en guerre contre la Prusse.

Alphonse affirmera plus tard s'être alors engagé dans le 39e régiment de marche et déclarera avoir été nommé caporal. Alors que l'armée était défaite et malgré l'interdiction, il se retrouve à Paris au printemps 1871.

Quel est alors son rôle dans les événements de la Commune, de mars à mai 1871 ?

Au cours de son procès en 1872, il prétend être revenu pour voir sa famille et pour travailler (fleuriste et feuillagiste). Un des employeurs évoqués, Grohin, rue Sainte-Apolline, parle de quinze jours de présence. Alphonse se serait fait alors appeler D’altroff de Lescure. L'autre employeur serait un certain Christen. Une chose est sûre Alphonse est cité comme sergent-major des marins fédérés en avril 1871, donc au service de la Commune. Son nom figure sur des états de solde du 26 avril 1871, lors de la barricade de Clamart. Un cocher témoin au procès doit le conduire à Issy les Moulineaux grâce à un bon de réquisition et ensuite le ramener à la mairie du 10e arrondissement.

Alors que la Commune s'effondre avec la semaine sanglante de mai 1871, Alphonse parvient à quitter Paris en vêtements civils et à échapper à la répression versaillaise. Il est toutefois finalement arrêté et mené au fort de Bicêtre. Là, un capitaine du 38e régiment, Orlanducci l'interroge. Alphonse prétend n'avoir rien à faire avec les Communards : l'officier le croit et décide de l’enrôler. Le jeune homme ne reste qu'une quinzaine de jours dans le régiment.

Le voilà à nouveau à Paris il y est condamné une nouvelle fois pour rupture de ban. Le procès en correctionnelle a lieu le 9 septembre 1871. Il est condamné à 8 mois d'emprisonnement pour ne pas s’être rendu à Rouen, lieu fixé pour sa résidence obligée. Au terme de sa peine, il doit partir pour Montpellier. Plus tard, il déclarera être passé à Castelnau (Hérault) où il aurait sauvé un enfant de la noyade, comme en témoigne un certificat du maire de la Commune.

Mais c'est à Toulouse que pour lui tout bascule. Il est arrêté le 27 août 1872 pour sa participation aux événements de la Commune. L’enquête le concernant a commencé dès le mois de mai. Cette arrestation tardive est-elle due seulement à la découverte de documents le compromettant ou a-t-il été dénoncé ?

Alphonse arrive à la prison des Chantiers à Versailles, le 4 septembre 1872, et il est traduit devant le 17e Conseil de guerre. Commence alors un long interrogatoire pour le prévenu. Parmi les témoins figure le cocher, cité précédemment et le capitaine Orlanducci interrogé au camp de Sathonay. Alphonse minimise jusqu'au bout sa participation aux événements de la Commune, alors que certains documents et certains témoignages mettent à mal ces affirmations.

Le jugement tombe le 4 octobre. Le 17e Conseil de guerre déclare.

« Le nommé, Daltroff Alphonse, fleuriste, coupable d'avoir, dans un mouvement insurrectionnel, étant revêtu d'un uniforme militaire, porté des armes apparentes dont il a fait usage… le condamne à la peine de la déportation simple. »

 

Toutefois les documents concernant le procès, conservés au SHD, ne montrent pas s'il y a eu usage de ces armes et on n’y voit figurer aucune intervention de l'avocat commis d'office. Les tribunaux cherchent à l'époque « à débarrasser la France de ses délinquants ».

Alphonse, le bagnard

Alphonse demeure, quelques mois, prisonnier en Métropole, par exemple à l'île de Ré comme d'autres communards. C'est de là qu'il part vers le bagne de Nouvelle-Calédonie. Il est à bord de l'Orne, un navire commandé par le capitaine Vignancourt. S'y trouvent 540 condamnés, essentiellement des communards et quelques femmes de droit commun.

Le départ a lieu le 16 janvier 1873, la traversée est longue et périlleuse. La nourriture est souvent détestable. Les conditions sanitaires déplorables. Des dizaines de condamnés souffrent du scorbut. Il faut faire escale à Melbourne pour embarquer des produits frais. Les rapports entre Communards et gardiens sont tendus.

Le 18 mars jour anniversaire de l'insurrection, les déportés chantent la Marseillaise et le Chant des Exilés. Alphonse a-t-il été malade ?

A-t-il fait partie des perturbateurs ? A-t-il eu, comme certains de ses camarades, des histoires avec les femmes à bord ?

Au début du mois de mai 1873, le navire accoste en Nouvelle Calédonie. Les Communards condamnés « à l'enceinte fortifiée » sont dirigés vers la presqu’île de Ducos. Ceux qui comme Alphonse Daltroff relèvent de la déportation simple sont envoyés à l'île des Pins. Ces derniers ne sont ni des incendiaires de la Commune, ni des meneurs politiques. Ils bénéficient d'une semi-liberté et vivent parfois dans des cases dispersées sur le territoire de l'île, territoire organisé en communes. Toutefois, ils sont surveillés et les évasions restent rares, car complexes dans ce cadre insulaire.

Un tiers de ces déportés simples, comme Alphonse, ont un passé judiciaire. Celui-ci, dès le début de l'année 1874, est condamné aux travaux forcés d'abord pour faux, usage de faux et ensuite pour vol. Il lui faut alors quitter l’ile des Pins pour l’ile Nou. Plus question de semi-liberté, les prisonniers sont regroupés, surveillés étroitement et les châtiments les plus durs s'abattent sur eux.

Les traitements inhumains sont dénoncés, dès la fin 1879, lorsque les amnistiés commencent à rentrer à Paris. Une campagne de presse dénonce « les supplices calédoniens ». Le Courrier du Soir, daté du 25 novembre 1879, relève quelques exemples et cite notamment la punition subie par le détenu Daltroff, (n° 3743) en 1876 pour réponse inconvenante à un surveillant. Il doit, en plus de deux mois de cellule, recevoir 25 coups de martinet. La presse s'appuyant sur les mémoires des amnistiés explique en quoi consiste ce châtiment.

Voilà par exemple ce qu'écrit Simon Mayer :

« Le martinet se donne au bagne de l'île Nou…Malheur au condamné qu'un garde-chiourme a pris en grippe… le directeur de la colonie ne peut pas ignorer ces faits qui se passent au vu et au su de tout le monde. ».

 

Tous les témoignages concordent : « le prisonnier est couché à plat ventre sur une planche, pantalon baissé, chemise remontée, le martinet est terminé par de gros nœuds et en s’abattant brutalement sur le condamné arrache les chairs. Le sang jaillit des muscles torturés… le torturé pousse des cris affreux.

Alphonse a-t-il subi, en plus du martinet, d'autres supplices calédoniens, par exemple celui des poucettes ou les pouces pris en étau peuvent être écrasés.

Les condamnations successives ne permettent pas à Daltroff d'être libéré au moment de l'amnistie  (1879-1880).

Alphonse, l’artiste

Resté en Nouvelle-Calédonie, il semble avoir eu encore quelques démêlés avec la justice, mais une autre facette du personnage a été révélée récemment : celle d'un artiste très doué.

Comme certains de ses camarades, il a sans doute exercé ses talents manuels (il est un ancien ouvrier en fleurs artificielles) pour fabriquer des objets pour touristes ou fonctionnaires. Ces objets on les appelle alors « la camelote du bagne ». Il s'agit, par exemple, de coquillages gravés.

En 2017, le Musée de Auckland en Nouvelle-Zélande a offert au Musée de Nouvelle-Calédonie, un nautile gravé, signé A.Daltroff. On y voit des feuilles d’acanthe, des fleurs et des partie ajourées. Sur l’ovale est représenté un portrait du président Sadi Carnot, assassiné en 1894. Ce portrait ressemble fortement à celui publié en 1887 dans le journal l'Illustration, journal peut être parvenu jusqu'au condamné. Trois mots figurent sur ce coquillage « Honneur, Gloire, Patrie ».

Alphonse a certainement réalisé ce petit chef d'œuvre entre 1887 et 1896, date d'une dernière condamnation. Comment ce nautile a-t-il pu se retrouver d'abord à Auckland ? Par la voie commerciale ou bien le condamné a-t-il, à un moment, quitté la Nouvelle-Calédonie pour se rendre en Nouvelle-Zélande ? Difficile de trancher, car pour le moment on ne sait précisément ce que devient Alphonse Daltroff.

Toutefois un document interpelle en marge d'un extrait du jugement rendu contre Alphonse Daltroff, le 9 septembre 1871 où y figure la mention suivante :

« Expédition à Nouméa 2R (?) le 19 octobre 07 (1907) ». 

Les archives numérisées d'outre-mer (ANOM) ne donnent à cette heure pas de réponse. Il reste à consulter sur place les dites archives à Aix-en-Provence.

Sources

 

  •  Maitron : Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et mouvement social (en ligne).

  • Archives départementales de Paris

      - Etat civil reconstitué pour les membres de la famille Daltroff cités dans le texte

        (en ligne)

      - Registre de l'école des Hospitalières Saint Gervais.

      - Matricule militaire.

  • Service Historique de la Défense (SHD) Vincennes

      - Procès des communards [8J 405] (nombreux détails concernant le rôle de          Alphonse durant la commune)

  •  ANOM, archives d'outre-mer [COL H 599]

  • Jean-Claude Farcy : La répression de la Commune de Paris, des pontons à l'amnistie, notice individualisée sur Alphonse Daltroff (en ligne)

  • Site de Bernard Guinard : Transport des communards par l'Orne (en ligne)

  •  Collection du musée de Nouvelle-Calédonie (voir nautile en ligne)

  •  Les journaux cités dans le texte sont à retrouver en ligne

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