A.S.F Association des secrets de famille
Portrait de Jean Blaise Mesnard
De Pérignac à Paris, les années de formation
Jean Blaise Mesnard vient au monde le 03 février 1793 à Pérignac, un gros bourg de Charente-Maritime, dite Charente-Inférieure à cette époque. C'est là que demeure depuis longtemps sa famille maternelle. Quant à son père, Pierre Mesnard, né en 1756, il est originaire de Montboyer village situé dans le département voisin, La Charente.
Les Mesnard, sur plusieurs générations, sont laboureurs, cultivateurs ou marchands plutôt aisés. Pierre lui-même est marchand porcher. Il épouse, en 1782, Marie Forget, fille d'un maréchal-ferrant et ils s'établissent donc à Pérignac.
Jean Blaise est le dernier né des 5 enfants du couple. Ses frères et sœurs sont : Marie Catherine née en 1782, Catherine en 1783, Pierre Christophe en 1786 et Jeanne Modeste en 1789.
Pérignac
En 1793, cette commune compte 2147 habitants. Bourg actif, la population croît jusqu'au milieu du 19e siècle. Son économie est essentiellement rurale et repose sur la viticulture, au vu de la proximité de Cognac. C'est ainsi que le 13 prairial an 2, des citoyens de la commune déclarent faire commerce d'eau de vie avec l'étranger [1]. A cela il faut ajouter l'élevage et le commerce qui s'y rattache. Le bourg est doté d'une église fortifiée construite au 12e siècle, l'église paroissiale Saint-Pierre [2]. Sa façade présente en hauteur des chambres de tir. La nef, avec ses croisées d'ogives, est de style gothique. Le château de Lerse, situé sur la commune, est orné d'une coquille Saint-Jacques, près du portail, sans doute a-t-il pu héberger des pèlerins se rendant à Compostelle.
Un épisode de la vie de Pérignac rappelle le contexte révolutionnaire. Le 21 mai 1793, donc peu après la naissance de Jean Blaise, un inventaire « des biens meubles et des effets » du prince de Pons, en fuite à l’étranger, est entreprise, car ce prince possédait des biens à Pérignac [3].
[1] Site « Pérignac au coeur du Cognac » voir histoire
[2] site « Patrimoine du Cognac » voir Pérignac patrimoine religieux
[3] « Pérignac au coeur du Cognac »

On ne sait comment les Mesnard accueillent les évènements révolutionnaires. Par contre, l’oncle maternel de Jean Blaise, Jean-Baptiste Forget [4], alors prêtre, a prêté serment à la constitution civile du clergé. « Défroqué », il s'est même marié avec une demoiselle Lacheurié.
La famille de Jean Blaise ne demeure pas longtemps à Pérignac. Elle s'installe quelques années après sa naissance à Celles, un modeste village situé non loin. Les parents, propriétaires, et leurs enfants vivent au lieu-dit Maine Duval. Plusieurs documents d'état civil en font foi. Il s'agit des actes de mariage du frère de Jean Blaise et de ses sœurs entre 1808 et 1812.
[4] Archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis 01/01/1902

Jean Blaise a donc grandi entre Pérignac et Celles, mais lorsqu’arrive l'âge du collège, que devient-il ? On peut imaginer que, comme beaucoup de jeunes garçons de son âge, il devient alors pensionnaire. Son oncle, Jean-Baptiste Forget enseigne à Saintes, puis devient préfet des études au collège Sainte-Barbe [5] à Paris où il décède en 1811. Jean Blaise a-t-il suivi son oncle maternel jusqu’à la Capitale ? Hypothèse plausible. En tout état de cause, Jean Blaise suit des études de droit à Paris ou ailleurs.
Premiers écrits…
L’année 1815 est pour lui une année triplement importante. Le 6 juin, son père décède à Saintes. Dans les semaines qui suivent, c'est un nouveau régime politique que découvre le jeune homme. Tout est politiquement à repenser. Napoléon, exilé pour la seconde fois, c'est Louis XVIII qui désormais s'impose avec la Restauration et la Charte faisant naître l’espoir d’une monarchie constitutionnelle en France.
[5] Idem
Jean Blaise saisit cette opportunité et il publie une brochure « Nécessité de la tolérance en matière d'opinion et du véritable amour de la patrie » [6]. Le jeune homme qui se dit alors bachelier ès lettres, pas encore avocat, se satisfait du nouveau régime. Car, selon lui « si la République est un état parfait, elle devient chimérique lorsqu'on veut l'appliquer ». Sans le nommer, il critique l'Empereur « entièrement tourné à la guerre pour étendre sa domination et sa propre gloire ». Il souhaite « l'Union de tous derrière Louis le Désiré, dont il attend la paix et l'ordre ». La dédicace du livre comporte deux noms :
- Barbeaux de Pérignac, sans doute un notable de son bourg natal, montrant ainsi qu’il n'a pas rompu avec ses racines.
- Et un certain Brisset de Dreux, un ami avec lequel il envisage déjà d'écrire.
[6] Gallica

… Premiers amours
Ces études de droit et la politique occupent certes Jean Blaise, mais il est jeune et
« s'intéresse également aux femmes ». Après sans doute quelques aventures, il tombe sérieusement amoureux. Elle s'appelle Marie Madeleine Lefevre et a 29 ans, donc un peu plus âgée que lui. Elle vient d'un milieu populaire, mais peu importe alors pour le jeune homme. Ils vivent ensemble à Paris, rue Meslée et le 31 janvier 1820, Marie Madeleine met au monde un garçon. Le père ne se dérobe pas et accompagné de deux amis, un perruquier et un peintre en bâtiment, Jean Blaise se rend à la mairie et donne son nom au nouveau-né : Marie Jean Polydore Amédée Mesnard. Le prénom Polydore a peut-être à voir avec celui d'un de ses cousins, Charles Polydore Forget, fils de Jean Baptiste, avec lequel Jean Blaise a gardé des liens familiaux et amicaux.
L'acte d'état civil comporte un renseignement important : à cette date Jean Blaise est devenu avocat. Mais s’il a obtenu ce titre à l'issue de ses études de droit, il n'est pas sûr qu'il en exerce les fonctions. Car on le retrouve surtout actif aux plans littéraire et politique.
Entre politique et vaudevilles
Dès 1821, à l'occasion du décès de Napoléon, il publie une brochure intitulée
« Bonaparte, Alexandre et Pertignax [7] ou de quelques-uns de ceux qui comme lui se sont élevés de même à l'Empire ». En effet, l'exilé de Sainte Hélène a exprimé le désir d'être inhumé à Paris. Or dans le contexte de la Restauration, cela paraît difficile. L'auteur du texte, s'il reproche toujours à Napoléon ses guerres et ses atteintes à la liberté, considère malgré tout qu'il a beaucoup plus fait pour la France que bon nombre de rois, en allusion à ses nombreuses réformes. Comme sans doute de nombreux jeunes hommes de cette génération, Jean Blaise ne peut cacher une certaine admiration pour le petit nobliau corse qui a su « s'élever jusqu’à l'Empire ».
Mesnard regarde aussi les événements extérieurs avec intérêt lorsqu’en 1821 commence un conflit qui va passionner l'Europe pendant plusieurs années. Les grecs se soulèvent alors contre l'occupant turc Aussitôt se développe un mouvement philhellène auquel adhèrent nombre d'écrivains et d'artistes. Jean Blaise, à cette occasion, écrit une « Ode à la Grèce » publiée en 1822 [8]. Et son nom figure également parmi ceux qui soutiennent le soulèvement en envoyant des dons.
[7] Gallica
[8] BNF


A la même époque Jean Blaise devient auteur dramatique. Ainsi, le 21 décembre 1821, le théâtre du Vaudeville présente pour la première une pièce écrite par trois auteurs Rochefort, Brisset et Mesnard intitulé « Le départ d'une diligence » [9]. Le second auteur est Mathurin Joseph Brisset, celui-là même qui était cité dans la dédicace « De la nécessité de la tolérance ».
En mai 1823, Mesnard, associé à deux autres auteurs Auguste Rousseau et Marc-Antoine Desaugiers, écrit et fait jouer un autre vaudeville, cette fois au théâtre de la Porte Saint-Martin. Cette pièce a pour titre « Le juif » [10] fait référence aux préjugés concernant les juifs, mais finalement donne plutôt le beau rôle à Samuel.
[9] Site « théâtre-documentation.com
[10] Books.google.com


Notoriété littéraire et vicissitudes conjugales
Mais à plus de 30 ans, il est peut-être temps pour Jean Blaise d’en finir avec une vie un peu bohème et de fonder une famille. Certes, il a donné son nom à un fils naturel, mais pourquoi n’épouse-t-il pas la mère ? Est-ce la mère de Jean Blaise qui s'y oppose parce que Marie Madeleine Lefevre est la fille d'un modeste ouvrier en bas alors que son fils est avocat ? Ou bien est-ce Mesnard qui considère que cette union pourrait être un handicap pour un homme ambitieux comme lui ?
Seules certitudes :
- il épouse une autre femme, mais on le verra plus loin, il reste proche de son fils naturel
- quant à Marie Madeleine, elle ne se mariera jamais
C’est à cette époque que Mesnard apparait en sa qualité de juriste et est amené à travailler pour un commerçant aisé, Jacques Braon (de son vrai nom Jacob Braun, marchand tailleur, né en Allemagne et qui a épousé une française Suzanne Perrot. C’est un acte notarié de 1823 qui en rend compte) [1]. Coïncidence étonnante, ce même monsieur Braon, chez le même notaire avait donné en 1819 une procuration au jeune Charles Polydore Forget, cousin de Jean Blaise Mesnard [2].
Tout ce petit monde se fréquente. Monsieur Braon a une fille et il trouve plutôt flatteur de donner pour époux à sa fille un avocat. Sa fille, Antoinette, elle, admire cet homme qui parle et écrit si bien en français et en latin. De son côté, si Mesnard est peut-être séduit par la jeune Antoinette Françoise, il trouve également dans ce mariage un moyen d'entrer dans une famille honorable et plutôt aisée. Il est d'ailleurs aussi devenu l'ami d'un beau-frère de Antoinette, Louis Adrien Guillaume, huissier auprès le Tribunal de la Seine.
Jean Blaise épouse donc la seconde fille des Braon. Le contrat de mariage signé le
11 avril 1825 [3] stipule qu'il y aura seulement « communauté d’acquêts » entre les époux et qu'en outre Antoinette Françoise apportera une dote de 8 000 francs. Le mariage a lieu à Paris le 14 avril 1825, d'abord à la mairie, puis à l'église Saint-Eustache à Paris. Marie Forget a donné son consentement par l'intermédiaire d'un notaire.
Cette même année 1825, Jean Blaise publie un ouvrage plus conséquent que les précédents, mais avec un nouveau prénom d'auteur : Jean-Baptiste. Il s'agit des
« Mémoires d'un réfugié au Champ d'Asile » [4]. Ce livre fait référence aux soldats de Bonaparte installés en Amérique du Nord après la bataille de Waterloo. Ils y avaient créé une petite colonie qui eut une existence éphémère. L'éditeur de ce mémoire, le libraire Jean-Baptiste Alphonse Leroux est un ami de Mesnard. Il a été également témoin de son mariage.
Le 08 janvier 1826, Antoinette met au monde des jumeaux Clarisse et Mathurin Alexandre Edouard. La petite fille [5] meurt quelques semaines plus tard chez une nourrice dans un village de l'Yonne. On peut imaginer que le jeune Mathurin a lui aussi été placé en province.
[11] AN- minutes du notaire Marchoux- MC/ET/XCIII/433
[12] AN- images répertoire du même notaire- 29 octobre 1819
[13] AN- minute du notaire Camusat- MC/ET/XI/988 11 avril 1825
[14] BNF
[15] Généanet et Archives de l’Yonne- Grandchamp 01 février 1826


Jean Blaise, s'il n'exerce pas sa profession d'avocat, continue à écrire. En particulier, un long poème baptisé Ignaciade en 1826 [16]. Il y dénonce à la fois l'emprise des Jésuites et la politique antilibérale du ministre Villèle. Le poème est diversement apprécié. Critiqué sur la forme (Figaro du 14 décembre 1826), il est considéré comme remarquable (La Nouveauté de janvier 1827), mais si l'auteur s'attaque à un ministre jugé réactionnaire, il ne s'en prend pas à la personne du roi Charles X. La preuve, fin 1827, lorsqu’il fait imprimer le texte d'une pièce de théâtre dénommée « Hollandais, Français et Anglais » [17], sur la couverture est inscrit cette dédicace « au roi, très respectueux hommages de l'auteur ». La pièce est représentée au théâtre Royal Français de La Haye.
L'année suivante, en 1828, le contexte politique semble avoir changé. Charles X a nommé Martignac, chef du gouvernement. Il s’agit un légitimiste modéré, plus libéral que ces prédécesseurs. Les espoirs de Mesnard reposent sur lui. Ce que demande l'auteur dans une Lettre à son excellence le Vicomte de Martignac [18], comme à travers tous ses écrits politiques, c'est le respect de la Charte constitutionnelle et le refus d'un retour à l'Ancien Régime et à ses privilèges. Certains journaux saluent « cette brochure intéressante, celle d'un homme d'esprit ».
JB Mesnard - c'est ainsi qu'il signe ses ouvrages - connaît donc une certaine notoriété et même un début de succès grâce à ses écrits. Par contre son couple est un échec. En effet, les 2 et 3 janvier 1829 paraît, dans le Courrier des Tribunaux et dans la Gazette des Tribunaux [19], l'annonce de « la séparation de corps et de biens de la dame Braon et du sieur Mesnard ». S'agit-il d'une simple incompatibilité de caractère ou de problèmes financiers ? Ou bien Antoinette a-t-elle découvert que son mari est le père d'un enfant naturel et qu'il n'a jamais totalement rompu avec la mère de ce dernier ?
[16] Books.google.com
[17] Books.google.com
[18] Gallica
[19] Base numérique de la Gazette des Tribunaux
Vivre de sa plume ?
Au cours des années suivantes, JB Mesnard poursuit sa réflexion ploitique et philosophique.
Un polémiste convaincu et reconnu
L'effervescence politique qui marque la fin du règne de Charles X, conduit JB Mesnard à comparer 1789 et 1830. Dès le printemps 1830, il dénonce le ministre Polignac, un ministre ultra royaliste qui s'éloigne selon lui de l'esprit de la Charte, dans un opuscule Mémoire au Roi, sans son Conseil d’état [20]. Ce qui lui vaut l'approbation d'une partie de la presse, par exemple La France Nouvelle, le 5 avril et Le Constitutionnel le 25 mai 1830
L'arrivée au pouvoir de Louis-Philippe à l'issue des Trois Glorieuses de Juillet répond à ses vœux. Le nouveau roi conforte et améliore la Charte. Mesnard regrette alors l'attitude de Châteaubriand qui proposait comme nouveau souverain le petit-fils de Charles X, le jeune duc de Bordeaux. Car derrière le jeune prince, JB Mesnard voit se profiler le retour des Jésuites. Cette brochure se présente sous la forme d'une lettre écrite par un ouvrier charpentier, logeant faubourg Saint-Antoine, faubourg où habite son fils naturel [21].
En 1831, dans un nouveau texte « Tuileries et Holy Rood » (résidence écossaise de
Charles X) [22], il s'oppose à nouveau à Châteaubriand : ce dernier critiquant le bannissement de l'ancienne famille royale. Cette même année, le nouveau pouvoir est confronté à ce que l'on pourrait appeler l'affaire de l'Abbé Grégoire. En mai 1831, le vieil abbé sent venir sa fin et demande les derniers sacrements. L'Eglise les lui refuse, car il ne veut pas se rétracter du serment qu'il a prêté à la Constitution civile du clergé en 1790. Dans la presse, JB Mesnard critique l'Archevêque pour son refus. Ce qui lui vaut des reproches dans certains journaux comme l'Ami de la Religion [23]. Le 22 mai. Mesnard répond par un long article publié dans la Gazette des écoles, journal plutôt d'opposition et termine ainsi « je me flatte que mes lecteurs et beaucoup d'évêques ne verrons dans monsieur Grégoire, ni un apostat, ni un renégat…ni après un révolté contre la communion, qu'ils ne le jugeront point avec vos préventions… ». Le 28 mai, Grégoire décède après avoir reçu discrètement les sacrements. A la demande du Roi, les obsèques sont célébrées dans l'église de l'Abbaye aux bois. Autour du cercueil, se pressent étudiants, ouvriers et des milliers d'anonymes parmi lesquels on peut imaginer JB Mesnard. Quelques personnalités sont présentes, comme par exemple La Fayette.
La foule accompagne la dépouille jusqu'au cimetière Montparnasse.
Au cours des années suivantes, JB Mesnard met souvent sa plume au service de la littérature et de la philosophie. Ainsi en 1832, il publie un longue essai intitulé « Essai de psychologie ou de philosophie transcendante » [24] où il y est question de « lumières », de « raison », du « vrai, du beau et du bien ». Tous les grands philosophes, depuis l'Antiquité, sont passés en revue. Au détour on peut relever quelques remarques intéressantes sur « les violences des espagnols contre les indiens (…) la traite des noirs ont révolté et révolteront toujours l'humanité…C'est injuste…chaque homme naissant égal à un autre homme, aucun n’a de droit sur la liberté d'un autre… ». Texte écrit seize ans avant l’abolition de l’esclavage.
L'année suivante, le nom de Mesnard est également cité comme traducteur d'un ouvrage consacré au souverain portugais, Dom Miguel [25], souverain antilibéral et impopulaire. Il s'était déjà intéressé au Portugal, dont il avait écrit une histoire dans une édition de la bibliothèque populaire [26].
En 1835, JB Mesnard publie une nouvelle édition de « La Servitude volontaire de la Boétie » [27]. Cette édition, il la dédie à son cousin Charles Polydore Forget, devenu alors docteur et professeur agrégé de médecine, montrant son attachement au moins à certains représentants de sa famille maternelle :
« C'est à toi, cher parent que je dédie ce travail, à toi qui sait unir aux qualités qui distinguent le médecin philanthrope, celles d'un bon citoyen et d'un véritable ami.
Paris septembre 1835
JB Mesnard »
[20] Gallica
[21] Les ouvriers et M. de Chateaubriand ou lettre d’un compagnon charpentier. Au profit des victimes des 27,28 et 29 juillet. Gallica
[22] Gallica
[23] Ami de la Religion du 01 janvier 1831. Gallica
[24] Site « wellcomcollection.org
[25] Dom Miguel. Gallica
[26] L’Echo de la Fabrique n°20 du 08 janvier 1834
[27] Gallica

A plusieurs reprises, Mesnard accompagne ce texte de notices explicatives. Cette publication intervient à un moment où la liberté de la presse est restreinte par le pouvoir après l'attentat de Fieschi. Le texte prend donc un sens particulier.
Pendant ces années 1830/1835, Mesnard fait partie de nombreuses sociétés savantes, par exemple, la Société Libre des Beaux-Arts [28]. Il se signale par sa présence ou au titre de correspondant. Son nom figure également parmi les membres de la Société Française de Statistique Universelle [29]. Il se fait alors appeler Jean Blaise Mesnard du Pont de la Roche. Son activité ne s'arrête pas là. En 1833 et 1834, on le retrouve à Nevers où il est devenu rédacteur du journal La sentinelle de la Nièvre [30].Toutefois l'écriture ne suffit sans doute pas à faire vivre l'auteur. D'où ces lettres adressées à différents ministres [31] pour obtenir un encouragement littéraire, pratique courante à l’époque. Encouragement tantôt accordé, tantôt refusé.
De plus, à la fin des années 1830, Mesnard ajoute une corde à son arc professionnel. Le cabinet de Maître JB Mesnard, 137 rue Montmartre, se spécialise dans la vente immobilière. Ainsi, entre 1839 et 1842, de nombreuses annonces paraissent dans les journaux concernant la vente d'appartements, de factoreries, d’établissement industriels et commerciaux. A cette fin figure le nom seul de l'avocat ou bien il est associé à celui d’avoués ou de notaires. Quelques exemples : une annonce propose dans le journal Le Siècle du 24/8/1839 la vente d'un fonds de commerce « de nouveautés, de mercerie, bonneterie et lingerie » comportant trois magasins. Et encore, dans La Presse du 06/02/1840, la vente d'une charcuterie précisant qu’il faut « s'adresser à un avoué ou à monsieur Mesnard, avocat ». Ou encore, d'après le journal Le Droit du 17/02/1842, un acte sous signature privée est passé au cabinet de Maître Mesnard pour la vente d'une pharmacie, pour la formation d'une société chargée d'exploiter des médicaments.
D'autres domaines du monde des affaires ont pu intéresser Mesnard. En 1846, il rédige un Traité des assurances mutuelles [32]. Est-il lui- même entré dans une compagnie ? Dans les années 50, le nom de Mesnard apparaît dans une compagnie d'assurance pour le remplacement militaire sans savoir s’il s'agit du même Mesnard.
Une vocation de pédagogue
Jean Blaise continue à écrire, il se consacre essentiellement à ce qui est pour lui sa grande œuvre : la recherche d’une nouvelle méthode d’enseignement. Dès la fin des années 20, il fait une demande d’autorisation pour enseigner le français et le latin alors qu’il n’est pas professeur [33].
En 1833, le journal Le Constitutionnel du 06 octobre annonce la parution d’un Code grammatical écrit par J.B Mesnard. Cela vient-il d’un intérêt porté aux enfants ? Il est vrai qu’en 1837, il publie un ouvrage intitulé « Devoirs de la jeunesse ou guide moral des jeunes gens » [34]. Mais il s’agit là comme l’indique le titre d’un guide moral et purement théorique. Notre auteur a-t-il vraiment une expérience éducative auprès des enfants ? On peut en douter en ce qui concerne son fils légitime, Mathurin Alexandre Edouard Mesnard. L'enfant avait à peine 3 ans lorsque ses parents se sont séparés et rien ne montre que Jean Blaise se soit soucié des études de ce fils. Quant à son fils naturel, on ne sait pas s'il a eu l'occasion de suivre son éducation. Une seule chose est sûre : il a gardé suffisamment de liens avec lui pour devenir le parrain de son petit-fils naturel, Edouard Jean Joseph Mesnard le 20/09/1846 [35].
D'ailleurs ses expériences en matière d’enseignement, on le verra, concerne essentiellement les adultes.
C’est ainsi qu’en janvier/février 1848, il est à Dijon, ce dont témoigne la presse locale Le Spectateur de Dijon et Le Courrier de la Côte-d'Or [36]. Pour la municipalité dijonnaise « l'instruction de toutes les classes de la société est indispensable : il faut donc une méthode qui permette d'apprendre rapidement et efficacement à lire, à écrire et à mettre l’orthographe aux classes laborieuses, celles qui n'ont pas l'aisance financière et le temps à consacrer à l'étude ». Les élus ont fait le choix de la méthode promue par monsieur Mesnard, car d'après l'article, elle a fait ses preuves à Paris (ce serait à vérifier avant 1848). L'auteur de cette méthode donnera donc des cours tous les jours aux jeunes ouvriers qui le désirent et sa théorie sera d'abord exposée en séance publique.
Le 10/02/1848, le Courrier rend hommage à la méthode mise au point par Mesnard pour enseigner la grammaire. Pour le journaliste, c'est une méthode éminemment « philanthropique » qui a pour but « le développement de l'intelligence ouvrière » qui s'adresse à des personnes sachant à peine lire et écrire, mais dont on attend des progrès rapides.
Rappelons l'importance des courants philanthropiques dans la première moitié du 19e siècle, ainsi que les courants sociaux, sinon socialistes. D'ailleurs parmi les élus dijonnais, plusieurs penchent de ce côté social.
Le 24 février, le Courrier de la Côte d'Or cite l'exemple d'un colporteur, monsieur Bourquin qui d'élève peut devenir enseignant, tant il a bien assimilé la méthode : « Nous avons presque la certitude que monsieur Mesnard laissera à la ville de Dijon environ une dizaine de professeurs qui pourront le continuer. Ce sera pour elle un véritable bienfait », en conclut-il. Il s'agit là sans doute d'une forme d'enseignement mutuel.
[28] La Société libre des Beaux-Arts a été fondée à Paris en 1830 par des artistes et amateurs d’art. Elle avait pour organe le Journal des Artistes (voir Wikipédia)
[29] La Société française de Statistique Universelle a été fondée en 1829 (bulletins en ligne)
[30] La Sentinelle de la Nièvre (1832- 1834) est un journal politique, littéraire, industriel et commercial
[31] AN- Site Pierrefitte- Voir série F/17 et F/21
[32] BNF
[33] Archives Nationales- côte F17 6659
[34] BNF
[35] Achives de Paris- Registre de l’Archéché- Baptêmes- Paroisse Sainte Marguerite- côte D6J 2783
[36] Le Spectateur de Dijon, journal politique, littéraire et industriel fondé en 1830
Le courrier de la Côte d’Or fondé en 1839
Intéressante cette date du 24 février 1848. Car depuis le 22, ont éclaté à Paris des bouleversements qui aboutiront au renversement du régime et à la proclamation de la Seconde République. On ne sait quelle attitude adopte alors Mesnard, ni comment il réagit à Dijon, puis à son retour dans la Capitale.
Autres exemples de cours donnés par Jean Blaise, cette fois à Paris. La Gazette de France du 22/05/1853 publie une lettre signée JB Mesnard dans laquelle ce dernier rappelle que chaque mercredi il donne un cours à l'Athénée Impérial. Il y expose sa théorie grammaticale. Ensuite un journaliste fait référence à cette méthode qui a toujours pour ambition de mettre à la portée de tous rapidement la lecture, l'écriture et l'orthographe. Monsieur Mesnard, qualifié de professeur distingué, il est également signalé que ledit professeur donne aussi des cours particuliers. L'Athénée Impérial cité dans l'article est une institution héritée de la révolution et qui sous des noms différents est chargée d'offrir des cours gratuits et d'encourager les auteurs d'inventions utiles.
Cette invention utile, Mesnard va également la mettre en pratique en 1855 à Saint Germain en Laye [37]. Un journal local L'Industriel de Saint Germain [38], daté du 26 mai, annonce l'ouverture dans la ville d'une école régimentaire, l'Ecole des Guides de la Garde Impériale. L'objectif des officiers est de permettre aux soldats, plus ou moins illettrés, d'apprendre rapidement à lire, écrire. Pour cela on a fait appel à monsieur Mesnard et à sa méthode. L'auteur « de cette excellente méthode, installé en ville, propose en plus des cours gratuits pour les enfants et les ouvriers qui ont peu de temps et de moyens financiers à consacrer à l'étude ».
Quelques semaines plus tard dans le même journal JB Mesnard réitère sa volonté de donner des cours à la population pauvre et laborieuse. On retrouve cette même volonté philanthropique qu’à Dijon. Le 18 août, L'Industriel signale que pendant les vacances, l'enseignant souhaite donner chez lui des cours ou à domicile. Cette fois il s'agit de répétitions de langue française et latine, littéraire, géographie, histoire destinée aux lycéens. Mais profitant lui-même des vacances, il s'intéresse au début du mois de septembre à l’une des fêtes emblématiques de Saint-Germain : la Fête des Loges. C'est l'occasion pour l'auteur de philosopher sur la nature, l'histoire, mais aussi de s'inquiéter du rôle néfaste des jeux d'argent sur la jeunesse.
Octobre-novembre 1855, c'est le moment de faire un bilan des expériences pédagogiques menées par JB Mesnard. C'est ce que propose le journal de Saint-Germain-en-Laye, l'auteur de l'article du 6 octobre parle « de succès prodigieux. Lors de la dernière inspection monsieur Mesnard a reçu des compliments pour sa méthode et son application aux hommes les plus illettrés. Le Général Inspecteur a eu des propos flatteurs pour l'enseignant ».
Le 3 novembre, JB écrit un article pour le même journal dans lequel il livre sa réflexion sur les méthodes d'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Mais le titre de cet article pose question « Enseignement de l'enfance ». C'est à dire qu'il ne s'agit pas ici seulement d'enseigner à des adultes illettrés, mais c'est avant tout aux jeunes enfants.
En 1856, il adresse un rapport à Monsieur le Colonel Fleury, colonel des guides sur les résultats obtenus à l'école régimentaire. Il n’est pas impossible qu’il soit encore à Saint-Germain à cette époque. En effet, ce document est publié dans cette ville par H. Picault, directeur propriétaire du journal L'Industriel de Saint-Germain-en-Laye. Est-il encore logé près du théâtre de la ville, chez monsieur Richard, traiteur cabaretier ou marchand de vins, présenté selon les documents sous ces différentes appellations ?
Que devient JB Mesnard maintenant qu'il en a fini avec les cours donnés aux guides de la Garde Impériale ? Ces derniers quittent Saint-Germain pour regagner Paris.
[37] L’Industriel de Saint Germain en Laye- voir : Archives des Yvelines- Presse locale
[38] BNF


Epilogue
En 1858, on retrouve JB Mesnard, mais cette fois c'est par son acte de décès, le 28 juillet, que l’on apprend qu'il se trouvait à Brive. Pourquoi Brive ? En regardant l'acte, on s'aperçoit que le prénom Blaise a été écrit sur celui de Baptiste. Ce qui laisse penser que Mesnard était présent et connu dans cette ville sous son prénom d'écrivain Jean-Baptiste. Est-ce à ce titre qu'il est venu en Corrèze ou encore une fois pour donner des cours ? Quant aux tables de décès et successions des Archives de Corrèze, elles mentionnent pour le même auteur « domicilié à Vigeois », un bourg situé non loin de Brive. Enfin à quel moment son épouse a-t-elle été prévenue de son décès et a-t-il laissé à son fils légitime un héritage ? Autant de questions laissées à ce jour sans réponses.
On a pu voir dans JB Mesnard un homme aux activités protéiformes : avocat, dramaturge, essayiste, polémiste politique, journaliste, pédagogue, homme d'affaires. Alors pourquoi cet homme qui a laissé une œuvre si multiple est-il tombé dans l'oubli ?