A.S.F Association des secrets de famille
Portrait de Gustave Daltroff
[Le commissaire de Police]
Gustave Daltroff est né à Paris le 6 décembre 1857. Quelques jours plus tard, le 13 décembre, il est circoncis. En effet, ses parents Michel Daltroff et Sarah Gompel appartiennent à la communauté israélite de la Capitale.
Michel fait partie d'une nombreuse fratrie arrivée 20 ans plus tôt de Lorraine avec le père Jacob et la mère Sarah Levy. Sarah Gompel, elle, est originaire de Gemmerich en territoire allemand. Ils se sont mariés le 27 août 1849, d'abord civilement, puis à la synagogue rue Notre-Dame de Nazareth. Les deux familles étaient présentes lors de la cérémonie, notamment les frères du marié, Salomon, Simon et Pierre.
Gustave est le second enfant du couple. Une petite fille est née, la première, le 5 août 1850 : elle porte le prénom de Adélaïde. Un troisième enfant, après Gustave, naît en 1860 : Alexis.
Les documents d'état civil nous apprennent que Michel et sa famille s'installent rue du Verbois, dans ce qui est devenu le 3e arrondissement de Paris. Les parents sont présentés tantôt comme marchands de meubles, tantôt comme logeurs : les deux n'étant pas incompatibles. L'enfance de Gustave se déroule donc dans ce quartier du centre de Paris où vivent également oncles et tantes.
Quelle école fréquente est-il ? Sa sœur Adélaïde a été inscrite à l'école des Hospitalières Saint Gervais. On la trouve par exemple élève de la salle d'asile, équivalent de la maternelle. Plusieurs cousins et cousines sont également élèves de cet établissement dans les années 1850/1860. Il s'agit d'une école laïque qui accueille depuis 1847 des enfants de la communauté juive. Quant à Gustave rien n'empêche de penser qu'il y fut aussi inscrit.
Les études du jeune Gustave ont dû se prolonger au-delà de la moyenne si l'on tient des professions qu'il a exercé plus tard : employé de banque, secrétaire puis commissaire de police. A-t-il intégré un lycée ou une école primaire supérieure ? La seconde hypothèse est tout à fait plausible. En effet, près de son domicile, la ville de Paris a ouvert l'école primaire supérieure Turgot, d'abord situé rue du Verbois, puis rue de Turbigo. Les enfants y entrent à 12 ans après avoir passé un examen pour juger leur niveau. L'enseignement s'étale sur trois ans : le but étant de former de futurs employés de commerce, de la banque et de l'industrie.

Des évènements familiaux heureux ou malheureux
Le petit Alexis, né en 1861, décède en 1865. Il est vrai que la mortalité des jeunes enfants est encore élevée en cette seconde moitié du 19e siècle. Ce sont des oncles maternels, Bernard Cerf et Isidore Bloch qui déclarent le décès en mairie. Sans doute pour éviter cette douloureuse démarche aux parents.
Un événement heureux intervient quelques années plus tard : Adélaïde, la sœur de Gustave, épouse son cousin Paul Daltroff le 28 janvier 1869. Ce dernier, fils de Pierre et Gertrude Kling est employé de commerce. D'autres membres de la fratrie Daltroff sont présents, en particulier l'aîné, Salomon, témoin des mariés
Un engagement au service de la France
On ne sait comment Gustave et les siens vivent le contexte politique des années 1870 : la guerre franco-prussienne, le siège de Paris, mais aussi la commune.
Gustave sait-il qu'un cousin, Alphonse Daltroff, est engagé auprès des communards et que sur jugement d’un Conseil de guerre en 1872, ce dernier est déporté en Nouvelle Calédonie ?
En 1877, Gustave n'attend pas le recensement militaire et le tirage au sort. Il anticipe et choisit la formule de l'engagement volontaire qui lui permet de n'être enrôlé que pour un an. Sa fiche matricule nous apprend qu'il mesure 1m54, qu'il a des cheveux châtains, des yeux noirs, un visage ovale et qu'il est employé de banque. Le 30 octobre 1877, il est affecté au 89e régiment d'infanterie et est nommé caporal. Libéré en novembre 1878. Il est ensuite nommé sergent, en septembre 1883, après une période d'exercice d'un mois dans le même régiment.
Lors de son service en 1877, il est proche d'autres « engagés conditionnels » comme par exemple Lucien Victor Meunier qui deviendra écrivain journaliste. Ces engagés ne sont guère appréciés par le reste de la troupe. C'est ce que rappelle en 1899, Meunier dans un article concernant le souvenir du 89e régiment. Il cite d'ailleurs le nom de son camarade Daltroff devenu commissaire. Peut-être ont-ils gardé un contact : Meunier, ardent républicain, se souvient de cette période où les menaces royalistes pesaient sur la jeune République.
Lorsque Gustave retrouve la vie civile à la fin de l'année 1878, il commence par reprendre son emploi dans la banque, mais quelques années plus tard, c'est sur une autre voie professionnelle qu'il s'engage. Il décide de passer un examen proposé par la Ville de Paris, ce qui lui permet d'accéder en 1884 au poste de secrétaire auprès des commissariats de la Ville. Il occupe cet emploi jusqu'en 1889 successivement à Pantin et à Paris.
En 1889, il devient commissaire de police, profession qu'il exercera de nombreuses années. Nommé d'abord à Saint Ouen, il est de retour à Paris en mai 1893, au commissariat de Grenelle. Ensuite, en 1894, il passe au commissariat de la Folie-Méricourt et ensuite de la Madeleine, de 1903 à 1909.
Nombre d'articles de journaux rendent compte de ses multiples interventions, qu'ils s'agissent de la répression de tapages nocturnes, de contrôles de séances politiques houleuses ou de la recherche de meurtriers. On n'en retiendra que quelques exemples.
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En décembre 1893, en pleine période d'attentats anarchistes, une bombe explose au cours d'une séance de la Chambre des députés. Parmi les commissaires dépêchés rapidement certains, comme Gustave Daltroff, se font remarquer par leur célérité et l'intelligence de leurs instructions.
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Au début du mois d'octobre 1895 les alleménistes, mouvement socialiste, organisent un meeting en faveur de la manifestation du 1er mai. Leurs adversaires anarchistes s'y présentent, et les injures fusent, suivies de quelques coups de poings. Une bagarre générale commence. La police intervient. Le commissaire Daltroff s'avance et au nom de la loi prononce la dissolution de la réunion. Il faut toutefois une vingtaine d'agents pour calmer les esprits échauffés.
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De août à septembre 1900, Gustave fait partie des policiers désignés pour la surveillance de l'Exposition Universelle. A ce titre, il est chargé d'enquêter sur un vol commis au préjudice de la maison Christofle. Plusieurs vitrines ont été fracturées et plusieurs objets de valeur ont été dérobés.
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En 1904, au moment de la visite de Edouard VII, le commissaire Daltroff est affecté à la protection du souverain anglais. En remerciement des services rendus, le policier se voit décerner un peu plus tard une distinction honorifique : l'ordre Royal de Victoria (London Gazette de mars 1905).
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Le même commissaire a enfin joué un rôle très important dans une affaire célèbre en 1908 l'affaire Rémy. Un riche rentier, ancien courtier, Auguste Rémy, est retrouvé mort dans son hôtel particulier en juin 1908. Il a été tué de plusieurs coups de couteau. Le commissaire Daltroff est chargé de l'enquête. Le maître d'hôtel et le valet de la victime sont suspectés et finalement arrêtés.
Les qualités professionnelles de Gustave lui permettent en 1909 d'accéder à de nouvelles fonctions. Il fait désormais office de « ministère public » au Tribunal de simple police de la Seine. Il intervient et dresse des réquisitoires dans plusieurs affaires. Par exemple en juin 1916, lors d'une audience du tribunal où s'opposent deux professions : antiquaires et brocanteurs.
A plusieurs reprises il doit demander des sanctions contre quelques centaines de contrevenants, ceux qui pendant la guerre ne voilent pas leur lumière face aux bombardements allemands. En mars 1919, le tribunal voit s'opposer deux actrices : l'une qualifiant l'autre de boche, injure fort grave au lendemain de la Grande Guerre. C'est encore Gustave qui est chargé du réquisitoire en faveur de Gabrielle Dorziat.
Gustave Daltroff a donc consacré une trentaine d'années de sa vie au service de la police et de la justice.
S'il a bénéficié de recommandations politiques (celle du sénateur Campenon en 1889 ou du député Barthou en 1903), il doit surtout à son talent et à son courage d'être devenu celui que la presse appelle le « célèbre commissaire Daltroff ». Il n'hésite pas à affronter parfois physiquement des malfaiteurs récalcitrants. Sa pratique sportive, boxe et escrime, est certainement un atout.
Il s'est vu décerner de nombreuses récompenses : médaille d'honneur en tant que policier, médaille de bronze de l'association amicale de prévoyance de la Préfecture de police, récompense de la SPA pour sa lutte contre les mauvais traitements infligés aux animaux. Gustave est également officier d'Académie. Enfin en 1911, il est fait chevalier de la Légion d'Honneur.

Si au cours de sa carrière il ne semble pas s'être fait remarquer par un engagement politique, c'est sans doute parce qu'en tant que commissaire, il s'impose un devoir de réserve. Mais peut-il rester totalement indifférents au débat qui agitent le pays à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle. L'affaire Dreyfus a montré l'importance de l'antisémitisme. Lui-même Gustave est concerné. L'Action Française publie, le 25 mars 1913, un article dans lequel il se plaint du trop grand nombre de juifs dans les administrations de la France. Parmi les exemples le journal cite le seul commissaire de police faisant fonction de ministère public : un juif, Gustave Daltroff. Tout l'article oppose juifs et français. Donc aux yeux des antisémites le commissaire n'est pas un français à part entière. On peut imaginer ce qu'a ressenti cet homme qui a consacré sa vie au service de l'état.
Qu'en est-il de sa vie privée?
Ses parents disparaissent en 1889 pour son père en 1896 pour sa mère. Son beau-frère et cousin, Paul Daltroff meurt jeune en 1884 et sa sœur Adélaïde décède en 1897. Gustave a conservé des liens avec ses nombreux cousins et cousines. Par exemple du côté maternel il est témoin lors du mariage de sa cousine Ana Bloch, avec Léon Heilbronn en 1888. Du côté paternel, on a la preuve de ses bonnes relations avec sa cousine Adélaïde Morhange-Daltroff, fille de Salomon. Gustave vient la réconforter lorsque son magasin d'équipements militaires, situé à côté du café Very, est victime de l'attentat anarchiste d'avril 1892. Le patron du café, où avait été Ravachol, est tué et la vitrine de Adélaïde vole en éclats.
Adélaïde et Gustave se connaissent d'ailleurs très bien puisque ce dernier a habité au 35 boulevard Magenta, non loin de la rue de Very et du magasin de sa cousine.

Autre aspect de la vie privée de Gustave Daltroff, il reste longtemps célibataire. Ce n'est qu'en décembre 1905 qu’il décide de se marier. Les fiançailles de Gustave et de Émilie Augustine Zoé Caron ont été annoncés dans les échos mondains de la presse. La future est une femme de 46 ans divorcée et appartient a un milieu plutôt aisé. Le mariage a lieu à Fontenay-sous-Bois, là où Émilie possède une maison en face du bois de Vincennes, rue de la Dame Blanche. Un contrat, signé devant notaire maître Fauchet, précise le régime matrimonial : celui de la séparation des biens. Les témoins de l'épouse appartiennent au monde médical Auguste Tripier, un docteur en médecine réputé et Arthur Guern, un chirurgien-dentiste. Quant aux témoins de Gustave, ils ont un lien avec la police : l'un d'eux, Louis François Guillaume est officier de paix et Marie-François Goron est un ancien chef de la sûreté. Gustave a eu l'occasion de travailler aux côtés de ce dernier et a gardé avec lui des liens d'amitié. Goron a ouvert un cabinet de police privée et a écrit ses mémoires, ainsi que des romans policiers.

Désormais, Gustave demeure auprès de son épouse à Fontenay-sous-Bois. Dans cette maison bourgeoise d'un quartier résidentiel, vivent également deux autres femmes : une tante et une cousine d'Emilie. Une domestique est aussi présente, selon le recensement de 1911.
Émilie dispose d'une réelle aisance financière, mais son époux n'est pas en reste, surtout depuis qu'il remplit les fonctions de ministère public. En 1915 il bénéficie d'un traitement de 10 000 francs, auquel il faut ajouter des indemnités. Il a aussi des économies, notamment des valeurs mobilières chez son banquier monsieur Samphar.
Le 24 novembre 1920, Gustave Daltroff décède brutalement dans sa maison de Fontenay. Rien ne laissait présager cet événement. La presse rend compte et certains journaux évoquent des rumeurs : on entend parler d'intoxication à l'eau de javel. Pour couper court à ces allégations, les autorités préconisent une autopsie. Cette dernière révèle une hémorragie interne. C'est le fameux docteur Charles Paul qui a officié à la morgue de Paris. Cette morgue qu'il a souvent fréquentée lorsqu'il cherchait à élucider certaines morts mystérieuses.
Le « doyen des commissaires bien connu des Parisiens », c'est ainsi que la presse le présente est conduit au Père Lachaise ou une cérémonie est organisée le 4 décembre. Le préfet de police Roux prononce un discours. Le président du tribunal de simple police est bien sûr présent. Ensuite le corps de Gustave est incinéré, comme il en avait émis le désir.
Sources
Archives départementales de Paris
- Etat civil reconstitué (en ligne)
- Fiche matricule (en ligne)
- Archives de l'école hospitalier Saint Gervais
Archives de la préfecture de police
- Dossier du commissaire Daltroff
Sources historiques de la défense SHD de Vincennes
- Dossier concernant le cousin communard Alphonse Daltroff
Archives départementales du Val-de-Marne
- Mariage Daltroff/Caron en ligne
Base Léonore en ligne
- Légion d'honneur (voir également l'univers israélite du 11 mars 1911)
Sites anciens élèves du lycée Turgot
- Gravure
Mémoire de Jean François Goron
- Gallica
Biographie de Lucien Victor Meunier
- Wikipédia
Presse
- Le site Généanet offre de nombreux articles de journaux concernant les activités du commissaire Daltroff, mais aussi de ses obsèques